Le respect de l’accord de Paris – traité international adopté en 2015 visant à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète – implique un certain nombre de changements dans notre vie quotidienne. Cette transition écologique doit se traduire par une réduction de notre empreinte carbone, notamment dans l’habillement. En France, l’empreinte carbone de la garde-robe est estimée à 1,37 tonnes de CO2 par habitant. Bien que le secteur de la mode et du luxe affiche de bonnes intentions avec la signature du (très peu contraignant) «Fashion Pact», il ne semble pas avoir pris la mesure de la révolution copernicienne qui s’amorce.
Notre cerveau « est un ennemi de la planète », estime le docteur en neurosciences Sébastien Bohler dans son livre coup de poing « Le Bug humain ». Selon cet essai, nous serions programmés à satisfaire nos désirs immédiats et « emportés dans une fuite en avant de surconsommation, de surproduction, de surexploitation, de suralimentation, de surendettement et de surchauffe, parce qu’une partie de notre cerveau nous y pousse de manière automatique, sans que nous ayons actuellement les moyens de le freiner. En témoignent les chiffres vertigineux du secteur de la mode, qui génèrerait chaque année 1,7 milliard de tonnes de dioxyde de carbone selon l’ONG WWF. Soit au total 120 milliards de vêtements vendus en moyenne par an dans le monde. Une surconsommation entraînant une très importante pollution produite par la fabrication de matières premières, la mise en forme des vêtements dans les usines et les différentes étapes de transport, des unités de fabrication aux points de vente. Ainsi, la simple confection d’un jean nécessiterait 7 500 litres d’eau, l’équivalent de 285 douches.
De son côté, le secteur de la mode fait mine de s’être emparé de la question et d’avoir amorcé sa transition écologique. Problème : la production vestimentaire doit être divisée par trois d’ici à 2050 si l’industrie de la mode souhaite véritablement respecter l’accord de Paris. Mais quelle enseigne serait prête aujourd’hui à changer de modèle économique et à demander à ses clients de réduire sa consommation de vêtements ? En 2019, le secteur a malgré tout décidé d’afficher publiquement ses bonnes intentions. En signant The Fashion Pact, mis en place sous la houlette de François-Henri Pinault (Kering), l’industrie s’est engagée à «atteindre 25 % d’approvisionnement en matières premières à faible impact d’ici à 2025» et à consommer « 50 % d’énergies renouvelables d’ici à 2025 et 100 % d’ici à 2030 ». Parmi les signataires, des acteurs de la mode tels qu’Adidas, Decathlon ou H&M mais aussi du luxe avec Gucci, Chanel ou Saint Laurent.
« le fashion pact est la plus grosse blague du secteur »
Un texte peu contraignant dans les faits, car « il ne comporte (…) aucune obligation pour les entreprises partenaires puisqu’il s’agit d’une initiative de groupes privés et non un texte de loi » concède-t-on chez Kering. Un coup marketing dénoncée par les associations : « Le Fashion Pact est la plus grosse blague du secteur » estime Alma Dufour, porte-parole de l’association de défense de l’environnement Les Amis de la Terre. « Qui peut croire que l’on va réduire les émissions carbone en ayant davantage recours au coton bio et aux ampoules LED en magasins ? ». Même son de cloche du côté de Dimitri Caudrelier, directeur général du cabinet de conseil Quantis : « Le Fashion Pact conduit-il à une réduction de l’empreinte environnementale ? Oui, c’est l’objectif principal. Mais à une baisse des volumes ? Non ». Pour le cofondateur de la plate-forme de mode responsable SloWeAre Thomas Ebélé, « il faut avoir un mode de raisonnement holistique. Disons que le Fashion Pact est une façon de se donner bonne conscience ».
L’essentiel des critiques à l’égard du Fashion Pact repose sur l’absence de prise en compte du phénomène contemporain de la fast fashion, soit « la fabrication en grand volume dans des pays à faible coût de main-d’oeuvre et le renouvellement permanent de leurs collections en magasins » comme le précise le journal Le Monde. Un fléau exacerbé par la crise sanitaire, les achats en ligne et l’existence de certaines enseignes qui proposent des produits à prix cassés (Shein, Primark etc.). Car si la conscience écologique est de plus en plus prégnante, le choix du consommateur reste encore dicté par le prix. Selon l’Institut français de la mode, le prix est le premier critère d’achat d’un vêtement pour 41% des Français… Seul 4% des Français estiment que le caractère écologique reste la priorité.