La culture du soin et du bien-être personnel doit se conjuguer aujourd’hui aux exigences environnementales. Un double impératif citoyen qui s’est manifesté jusqu’ici à travers une offre fragmentée de technologies numériques censées mesurer l’impact de nos activités quotidiennes sur notre corps ou sur la planète… à l’heure où le besoin d’indicateurs éthiques et holistiques devient plus qu’une nécessité.
« Il y a plusieurs vitesses de société, parce que les pressions qui chosifient l’individu sont très fortes. Pressions économiques, numériques, narcissiques. Petit à petit, les corps encaissent, mais pas nécessairement avec les moyens de résister” explique Cynthia Fleury, philosophe et directrice de la chaire de philosophie à l’Hôpital Sainte-Anne dans son essai « Le soin est un humanisme ».
Cette pression multiforme qui s’exerce sur les corps amène de plus en plus d’individus à vouloir opérer un recentrage sur soi à travers la notion de « bien-être ». A l’heure des métavers et de son lot de mondes virtuels et alternatifs, témoins d’une crise de notre rapport au réel, le concept de bien-être – issu de la psychologie humaniste américaine des années 50 et qui vise à prendre en compte la personne dans la réalité scientifique de son corps et de son esprit – redevient le concept central de nombreux livres de développement personnel.
Offre fragmentée de technologies numériques
A la faveur de la crise sanitaire et environnementale, cette préoccupation s’est accélérée et complexifiée. Le bien-être personnel doit aujourd’hui se conjuguer avec celui de son voisin et de l’environnement. Un idéal de bien-être collectif qui pourrait s’inscrire sur la durée et au sein d’un cadre environnemental de plus en plus menacé. Le marché des nouvelles technologies s’est emparé de ce double-Graal avec l’émergence des WellTech d’un côté et celle des GreenTech de l’autre. Un vaste écosystème de technologies connectées, capables de mesurer les différents aspects de notre bien-être, et de notre empreinte environnementale.
Ainsi sont mis à la disposition des consommateurs une offre infinie d’indicateurs mesurant l’impact de leurs activités quotidiennes à la fois sur eux-mêmes et sur la planète. Du côté des WellTech, ce sont des centaines de millions de dollars qui sont investis chaque année dans les technologies numériques du bien-être, avec plus de 318 000 applications liées à la santé. Un marché en croissance et aux multiples ramifications : apps pour le sommeil, pour le sport, pour la perte de poids, pour la respiration, pour la méditation, etc. En 2019, Google Trends enregistrait une augmentation de 242 % des recherches de solutions de fitness virtuel et de 285% des recherches de guérison « holistique ». Parallèlement, les GreenTech proposent des applications qui permettent de mesurer notre empreinte carbone : par le scannage des aliments, ou en proposant des produits ou des adresses pour consommer « local » et « responsable », ou encore pour recycler des vêtements. Mais encore très peu de solutions pour mesurer nos autres impacts environnementaux.
Greentech, welltech et sustainable welltech
Un marché numérique riche mais déconcertant tant il est fragmenté. « Il existe (…) des centaines de milliers d’applications qui s’intéressent de près ou de loin à notre santé dans ses différentes composantes, et des milliers de devices qui captent en permanence des données de santé, mais il n’existe aucune offre qui en fasse la synthèse de manière cohérente grâce à une intelligence artificielle performante » résume l’auteur et entrepreneur Erwann Menthéour pour Entreprendre. Dans le maëlstrom des app’, certaines startups tentent de se distinguer en proposant des indicateurs plus holistiques. Erwann Menthéour et Jean-Pascal Pham-Ba, son associé au sein de Mentors, préconisent une nouvelle vision à 360 degrés autour de l’idée d’un « bien-être durable », prenant en compte le bien-être personnel dans le respect de l’environnement. « Mentors est la première ‘sustainable welltech’, l’outil hybride individuel et collectif d’une transition possiblement heureuse, d’une utopie réaliste » explique Jean-Pascal Pham-Ba.
D’autres startups, comme Comeet, Workwell ou encore Cocoom, proposent de créer les conditions du bien-être au travail afin d’augmenter in fine les performances de l’entreprise : ce sont les Happy Tech. Une autre vision systémique du bien-être qui permettrait d’améliorer les capacités de l’entreprise toute entière. Une idée revendiquée par Alexandre Jost, fondateur de La Fabrique Spinoza, think tank spécialisé dans le bonheur en entreprise : « Les impacts positifs du bien-être sont certains car les entreprises pro-actives en vantent les mérites, mais il est impossible de chiffrer au milliard d’euros près le gain de performance. En revanche, les premières estimations laissent penser que le gain de croissance pourrait s’élever entre 1 et 3 points de PIB ».
Promotion d’un nouveau modèle de développement et outils éthiques
Que ça soit pour accélérer les performances de l’entreprise dans son ensemble, éviter l’effondrement de nos systèmes sociaux et de santé, ou pour mieux prendre en compte les exigences environnementales au quotidien, la notion de bien-être ne cesse aujourd’hui de s’enrichir et ne pourra plus à l’avenir être décorrellée des problématiques de collectivité et de durabilité. Un nouveau schème de pensée, selon la philosophe Corine Pelluchon, autrice du livre « Les Lumières à l’âge du vivant » et qui évoque dans Marianne l’avènement d’un nouveau modèle de développement et de civilisation : « L’intérêt croissant des personnes pour (…) l’écologie et la prise de conscience de notre commune vulnérabilité sont les signes avant-coureurs d’un mouvement profond qui pourrait contribuer à la promotion d’un nouveau modèle de développement et qui suppose une révolution dans la manière de penser notre rapport à nous-mêmes et aux autres, humains et non-humains ». L’enjeu des « sustainable welltech » est de rendre possible un tel modèle, ce qui implique une réflexion éthique approfondie à l’image de celle du mouvement « Ethics by design » qui cherche à obliger les concepteurs à créer des outils technologiques éthiques respectant les droits et les devoirs des citoyens.