Dans son film intitulé Carbone, Olivier Marchal raconte l’histoire vraie de la fraude à la TVA sur les quotas de carbone. Mais au-delà des frasques de quelques hurluberlus, ce système élaboré pour répondre aux objectifs climatiques est-il vraiment efficace ou permet-il avant tout aux plus grands pollueurs de se racheter une conscience environnementale et aux petits entrepreneurs astucieux de s’enrichir ? Vanté par certains comme une « pièce maîtresse » de la lutte contre le réchauffement climatique, et accusé par d’autres de greenwashing, le marché du carbone mérite qu’on s’y intéresse.
Il existe plusieurs marchés du carbone mais tous les acteurs économiques ne sont pas concernés…
En 2009, la France découvrait avec stupéfaction qu’une arnaque à la TVA sur le marché des quotas carbone avait été orchestrée par plusieurs complices, dont Arnaud Mimran, surnommé « le Janus de l’Ouest parisien ». Avec des fausses entreprises, les escrocs ont dupé l’État français, en récupérant au total près de 283 millions d’euros. Depuis, bien sûr, les quotas de CO2 ne sont plus assujettis à la TVA, faisant du même coup un peu reculer la spéculation.
Mais d’abord, comment fonctionnent les « marchés du carbone » ? En commentant un rapport de la Cour des Comptes européenne en septembre 2020, Derek Perrotte présentait ainsi le dispositif : « les entreprises doivent acheter, via un mécanisme de ventes aux enchères, des quotas qui couvrent leurs émissions de carbone. Mais ces quotas peuvent aussi être alloués à titre gratuit pour éviter les « fuites de carbone », c’est-à-dire des délocalisations dans des cieux moins regardants, ce qui risquerait d’alimenter une hausse des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale ». Et tandis que les quotas gratuits représentaient alors presque 40 % du total des quotas disponibles, certains secteurs comme l’électricité ou l’aviation pouvaient en bénéficier !
Pour encore mieux comprendre le fonctionnement des marchés du carbone, on peut signaler les travaux d’Agroparistech, publiés en juin 2021. Matthieu Cieutat et Julie Perrin y expliquent notamment que « ce que l’on appelle crédit carbone (ou quotas de CO2) équivaut à l’émission d’une tonne de gaz à effet de serre (GES) en équivalent CO2. (…) Les crédits carbone sont alors convertis en une monnaie, les “CO2 coins”, ce qui crée ainsi un marché du carbone. Tarifer le carbone est un moyen de transformer l’aspect immatériel du gaz en quelque chose de quantifiable et échangeable entre 2 entités. Des marchés du carbone ont ainsi émergé à travers le monde. Aujourd’hui, le prix du crédit carbone oscille entre 1 euro (prix au Mexique) et 100 euros (prix en Suède) selon le type de projet mené et le mode d’émission/séquestration ». Selon le Ministère de la transition écologique, au 1er mai 2020, 30 marchés de quotas échangeables étaient en fonctionnement à travers le monde.
Après les mises en garde, de possibles protestations et déjà des réclamations…
Récemment, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé son intention d’étendre au secteur du transport routier et au secteur du bâtiment, le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE). Face à ce projet, l’eurodéputé Pascal Canfin adressait une mise en garde à la Commission européenne : « Ne faites pas l’erreur d’étendre le marché du carbone au chauffage et au carburant. Nous l’avons vécu en France, cela a donné les Gilets Jaunes ». D’autant que d’après l’élu français, « la réduction attendue dans le secteur du transport routier, grâce à cette mesure, est de 3%, ce qui est beaucoup plus faible que l’impact des normes ».
Qui plus est, le transport routier n’est pas celui qui présente la plus mauvaise empreinte environnementale, et de loin ! Ainsi que le montrait une étude de l’Agence Européenne de l’Environnement publiée en mars 2021, là où avec l’aviation un passager émet 160 grammes de CO2 par kilomètre, un automobiliste est responsable de l’émission de 143 gCO2/km, tandis qu’un voyageur se déplaçant en bus ou en autocar ne produit plus que 80 gCO2/km et que le transport ferroviaire limite ses émissions à 33 gCO2/km. Et pendant ce temps-là, Influence Map nous révèle que les compagnies aériennes dépensent des sommes colossales en lobbying pour freiner les politiques climatiques impactant leurs activités… Dès lors, le marché du carbone ne serait-il pas qu’un simple « marché des indulgences » pour les gros pollueurs, qui y voient un moyen de donner des gages de bonne conscience écologique ?
Omnegy, C2E market… une manne financière pour une foule d’entreprises spécialisées
Parallèlement, une foule de petits entrepreneurs se sont également lancés dans le business juteux de ce « commerce des indulgences 2.0 ». Et on comprend aisément pourquoi à la lecture d’une communication de la Commission européenne, où il est précisé que « le nombre de quotas en circulation dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission de CO2 s’élevait à 1,38 milliard de quotas en 2019 ». Et en effet, plusieurs entreprises rencontrent un certain succès, en mettant en avant leur expertise de conseil et leurs partenaires, pour en définitive promettre à leurs clients figurant parmi les plus gros émetteurs de CO2 une réduction de leur empreinte carbone sans réduction réelle de leurs émissions grâce entre autres à des Certificats d’Économie d’Énergie (CEE)… c’est par exemple le cas d’Éric Mugnier qui a fondé Omnegy, ou encore d’Olivier Le Marois à l’origine de l’aventure de C2E Market. En 27ème position sur la liste du rassemblement pour l’écologie et la solidarité lors des dernières élections régionales en Ile-de-France, l’entrepreneur du même nom que l’hôtel particulier situé dans le huitième arrondissement de Paris qui abrite le siège du Comité France-Amérique, se targue d’être un engagé pour l’environnement de longue date, mais réalise pourtant une bonne partie de son activité grâce à l’industrie gazière ! C2E Market n’est d’ailleurs pas la seule société fondée par l’écologiste-entrepreneur. En effet, l’énarque bien inséré dans les hautes sphères de l’Etat, l’ancien membre du cabinet de la Première ministre Edith Cresson, fonde, en 2013, la holding ZLAK, structure dirigeante de C2E Market. Avec un siège social confortablement installé dans le cinquième arrondissement de Paris, la société, qui compterait entre 3 et 5 salariés, dégageait dès 2015 un chiffre d’affaires d’1,1 million d’euros deux ans à peine après sa création. Une distribution des brevets de bonne conduite qui n’est donc pas gratuite, et particulièrement rémunératrice pour les écolo-businessmen rodés.
Plus grave encore que ces faux-semblants, à Bercy, on s’inquiétait déjà en 2018 de « la persistance du développement des escroqueries commises en bande organisée », notamment pour la fraude aux Certificats d’Économie d’Énergie. De nombreuses dérives ont d’ailleurs été régulièrement dénoncées par l’UFC Que Choisir. De son côté, le député qui préside le Conseil Supérieur de l’Énergie, Anthony Cellier, rappelle qu’un rapport de Tracfin « mettait en lumière des montages complexes », tout en précisant qu’en réalité, « les montages sont bien souvent moins élaborés », indiquant qu’il s’agissait en grande partie de « cas de blanchiment d’argent, liés à des travaux surévalués ».