Face à la ZAC du triangle de Gonesse et Europacity, un projet alternatif existe. Le projet Carma, défendu par plusieurs associations, propose d’installer dans la zone un pôle d’excellence de l’agroécologie. Une ambition pleine de promesses, mais autour de laquelle de nombreux doutes demeurent.
Ce mercredi 20 février, dans le 11e arrondissement, est organisée une soirée-conférence afin de présenter le projet Carma (Coopération pour une ambition agricole rurale et métropolitaine d’avenir). Une soirée animée par le journaliste Hervé Kempf, avec diffusion d’un film et débats autour de l’aménagement du triangle de Gonesse.
Alors que l’État et les collectivités locales défendent le projet de ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) qui prévoit notamment l’installation d’un quartier d’affaires et du centre de loisirs Europacity, plusieurs associations défendent un contre-projet. Conçu par des agronomes et des urbanistes, Carma voudrait substituer les cultures céréalières intensives, polluées et faibles en biodiversité du Triangle de Gonesse par un « pôle d’excellence de l’agroécologie périurbaine ». « Avec ce projet, nous proposons aux collectivités de transformer le triangle de Gonesse en zone de production maraîchère, céréalière et d’élevage de qualité », explique ainsi Anne Gellé, du collectif Terre de liens. Un projet défendu aussi par France Nature environnement, Fermes d’Avenir, l’Amap ou encore Biocoop.
Carma se propose de devenir un véritable « laboratoire », une expérience inédite d’agroécologie à grande échelle dans la région Île-de-France. Le projet prévoit de s’organiser autour de 5 pôles, répartis sur tout le territoire du Val-d’Oise : d’abord, sur le Triangle de Gonesse, une gigantesque ferme expérimentale, de production agricole mais aussi de lieu de formation pour les habitants du territoire désireux de participer au projet. Ensuite dans les villes avoisinantes, un centre de recherche et d’innovation agroécologique, un « office du tourisme », un « pôle économique » pour organiser les cultures et enfin un « pôle alimentation et santé » pour retranscrire cette culture du « bien produire » dans le « bien manger ».
Écologique et solidaire, Carma aurait dû séduire les pouvoirs publics, qui continuent de lui préférer le projet d’aménagement de la ZAC. Pourquoi repousser un projet qui, sur le papier, a tout pour séduire ?
Un projet au conditionnel et risqué
Le projet Carma assume de s’inspirer de nombreuses expériences similaires qui ont eu lieu dans d’autres villes, notamment à New York, Milan ou Barcelone. Des exploitations agroécologiques en milieu urbain mises sur pied dans des environnements économiques et sociaux pourtant différents de la banlieue parisienne.
Alors que les projets qui inspirent les promoteurs de Carma ont pris pied au sein même des grandes métropoles, par et pour leurs habitants, le modèle qu’ils défendent pour le Triangle de Gonesse risque de se faire contre les populations avoisinantes. Le département est en effet l’un des plus pauvres de France, marqué par un taux chômage chez les jeunes qui frise les 30 %. Or, le projet Carma ne donne guère d’indications sur le nombre d’emplois créés par ses installations : au mieux une centaine, probablement une cinquantaine.
Difficile, pour les maires des communes avoisinantes, de miser sur ce pari agroécologique quand Europacity doit créer 10 000 emplois et le nouveau quartier d’affaires, 40 000. Un choix d’autant plus impossible que le projet Carma exclut de facto la réalisation de la station de métro de la future ligne 17, qui doit desservir le triangle de Gonesse et toute la zone. Autant d’entraves au développement économique du territoire, qui risquent d’être mal perçues par des populations qui, a contrario, soutiennent très majoritairement le projet défendu par l’État.
Alors que l’essence même du projet Carma réside dans une coopération soudée avec les populations locales (participation aux techniques agricoles, collaboration avec les différents pôles…), le modèle semble voué à l’échec, dès lors qu’il s’est précisément construit contre les attentes des habitants des villes avoisinantes.
Enfin et surtout, le projet Carma pâtit encore de nombreuses zones d’ombres sur le plan écologique. Si des critiques et des attentes existent sur les promesses formulées par l’État et les promoteurs de la ZAC en matière de protection de l’environnement, le projet Carma n’a de son côté pas convaincu les pouvoirs publics : en refusant l’installation de la ligne de métro, le modèle perpétue et aggrave l’usage massif des camions et de l’automobile sur le territoire. De plus, Carma repose en partie sur des « dons » de terrains agricoles (et pas sur des rachats de ceux-ci) : un modèle de développement assez hypothétique, puisqu’il n’est pas assuré que les paysans et les propriétaires fonciers des environs rejoignent le projet.
En face, l’État et les promoteurs proposent un projet chiffré, évalué, soumis à des avis d’experts indépendants, et surtout avec bon nombre de dispositifs environnementaux : fermes urbaines, système de récupération de l’eau de pluie, autosuffisance énergétique, introductions de faunes et de flores dans de nouveaux espaces verts… Des dispositifs insuffisants, mais plus concrets et réalistes que le projet Carma.
Dans ces conditions, les populations avoisinantes et les pouvoirs publics ont mécaniquement exprimé leur réticence pour le projet porté par les associations de protection de l’environnement. Un modèle de développement du territoire qui plaît à Paris, mais fait nettement moins rêver à Aubervilliers. Le projet Carma est une nouvelle fois l’expression d’une écologie vouée à l’échec, en énonçant un modèle contre les besoins des populations. Dans le triangle de Gonesse, il est urgent de proposer une troisième voie, ni Carma, ni ZAC, susceptible de répondre aux enjeux environnementaux du XXIe siècle de manière réaliste tout en répondant aux problèmes des habitants.