C’est à première vue paradoxal, mais c’est l’avis du général Dominique Delawarde (2e section), ancien chef de bureau Situation-Renseignement-Guerre électronique de l’armée française. Fin connaisseur des questions géopolitiques et militaires, il a commenté les frappes du 14 avril 2018 ayant eu lieu au petit matin en Syrie en confrontant les communiqués de la Russie et des États-Unis, le Pentagone ayant également parlé pour le Royaume-Uni et la République française. Selon le général français, les faits démontreraient un échec de la part des trois nations occidentales et une grande force du côté de la Russie, pourtant sans intervention directe de sa part. Cela rebattrait les cartes de la géopolitique.
La guerre des chiffres
Ce sont la Fédération de Russie et le Pentagone qui se sont exprimés sur les frappes en Syrie, par deux communiqués très détaillés. Les données de chacun sont cependant contradictoires, non pas pour le nombre de missiles tirés, mais bien pour ceux qui auraient été détruits ou détournés. Le général Delawarde explique en outre que le document produit – « évaluation nationale » – le jour même par Le Drian ne serait pas une note ou synthèse des services de renseignement. Voyons ce qu’il en est…
Le Pentagone US a dit que 105 missiles ont été tirés, à partir de 5 navires de guerre et de divers bombardiers et chasseurs. Seules trois cibles sont évoquées : Barzeh (76 missiles), Him Shinshar (22) et le présumé bunker de stockage de ce dernier site (7). Les trois agresseurs – France, États-Unis, Royaume-Uni – affirment qu’aucun missile n’a été intercepté : tous auraient donc atteint leur cible… Une Battle Damage Assessment satellite a été produite par l’administration américaine. De leur côté, ces frappes n’ont pas manqué de susciter des réactions de la part des populations civiles :
La Russie a dit avoir détecté 103 missiles air-sol ou de croisière (donc 2 se seraient perdus en mer), dont 71 auraient été neutralisés par la DCA syrienne. L’état-major de la Fédération aurait détecté 7 cibles : aéroport de Damas, base aérienne d’Al-Dumayr, base de Baly, base de Shayarat, base de Mezzeh, base de Homs, centre militaire de Barzeh-Jaramani. Absolument tous les missiles tirés sur les quatre premières cibles auraient été interceptés. Pour la cinquième, le taux d’interception serait de 5 sur 9, puis de 13 sur 16 et de 7 sur 30 pour les deux dernières. Les sites touchés en question bénéficiaient d’une défense moindre, certains ayant sans doute été évacués ou carrément désaffectés.
Qu’en conclure ?
Le général Delawarde commence par rappeler que des photographies satellites américaines d’Irak (1998 : opération Desert Fox) avaient été largement trafiquées, des prises de vue du renseignement français – beaucoup plus précises d’ailleurs – l’ayant à l’époque démontré. De plus, il déclare qu’il est extrêmement improbable qu’aucun missile n’ait été détruit par la DCA syrienne. Le communiqué du Pentagone serait donc nécessairement mensonger… ce qui ne signifie pas que le rapport russe soit juste pour autant ! La version occidentale est également infirmée par l’état du centre de recherches scientifiques de Barzeh : atteint par 76 missiles, il n’en resterait plus rien. Or, de nombreux murs sont encore debout, alors que la superficie du complexe reste relativement faible. La version russe paraît plus raisonnable. De toute façon, le Kremlin a annoncé que cette opération illégale aurait des conséquences :
Si le rapport russe est vraiment authentique, les quatre premières cibles à la DCA abondante auraient réalisé un sans-faute, ce qui serait peut-être la plus grosse performance anti-aérienne de l’histoire. Le général Delawarde estime que si les Russes ne sont pas directement intervenus (chose confirmée par les USA), ils auraient doté l’État syrien de data tracking voire de moyens de guerre électronique, les missiles de croisière occidentaux ayant utilisé un traçage GPS les rendant trop lents. Le militaire estime que si des S400 russes étaient directement intervenus, absolument aucun missile occidental n’aurait touché sa cible voire survolé ne serait-ce qu’une parcelle du territoire syrien. La Russie a annoncé vouloir équiper Bachar el-Assad de S300 pour pouvoir encore mieux se défendre.
Il est en outre vraisemblable que la Russie ait été mise au courant de l’agression, d’une façon ou d’une autre, ou ait obtenu l’assurance de ne pas être visée. De même, la Syrie a pu voir venir de manière à ne déplorer aucun mort. En outre, la présence de civils se promenant sans désagrément sur le site de Barzeh quelques heures après les faits semble parler en faveur de l’absence de stocks chimiques sur place. Enfin, les Américains avaient considéré les Russes et Iraniens comme co-responsables de la présumée attaque chimique du 7 avril dernier, mais ils ne les ont point attaqués : ce serait un véritable aveu de faiblesse. Pour la France, c’est la première fois qu’elle s’affranchit d’un feu vert de l’ONU depuis l’existence de cette institution. L’histoire tirera cette affaire plus au clair, espérons-le… Et espérons aussi qu’il n’y ait pas d’escalade !