Le débat du jour: Considérer les espèces dites « invasives » comme nuisibles est-il vraiment justifié ?
On entend souvent parler de ces espèces animales, celles qui apportent avec elles des désagréments parfois moindre et parfois inquiétants sur notre mode de vie et nos écosystèmes. Le frelon asiatique, le moustique tigre, etc… sont souvent cités dans les journaux et considérés à bien des égards comme des nuisibles dont il faut se débarrasser activement.
En mobilisant des moyens humains nouveaux pour contrer ces espèces, le coût pour la collectivité et la sensibilisation faite autour laisse planer le sentiment plus vaste que toute espèce venue de l’étranger serait forcément une source de désagrément. Une sagesse populaire et conventionnelle qui s’avère cependant contradictoire avec un principe élémentaire de la nature: l’évolution. Explication.
Le cas intéressant du frelon asiatique
Prenons l’exemple symbolique du frelon asiatique. Cet insecte venu d’Inde et de Chine ne cesse de se répandre en France depuis le milieu des années 2000, lorsque les premiers observateurs constatent sa présence sur le territoire. Il est certainement l’insecte le plus mal-aimé de l’Hexagone et l’un des plus mentionnés sur le Web quand il s’agit de lutte contre les nuisibles.
Un frelon asiatique sur une proie – Crédit photo: Flickr – Ihagee86
Depuis, il est considéré comme un problème sanitaire de taille: chasseur d’abeilles hors pair, il constituerait une menace pour les colonies, déjà bien affaiblies. Et bien qu’elle ne soit pas plus dangereuse que l’abeille concernant son venin, sa faculté à coloniser des lieux très proches de l’habitat humain en fait une espèce dangereuse pour les plus faibles d’entre nous. Afin de répondre à cette menace, les autorités locales et nationales n’hésitent pas à sensibiliser la population et à participer activement dans son élimination.
Cependant, il faut se poser la question de sa présence croissante en France. Certes venu à cause des échanges humains, le frelon s’avère être adapté pour survivre et se développer en France et dans le reste de l’Europe du Sud. Ce n’est pas anecdotique, car cette capacité signifie que l’espèce demeure dans un environnement qui lui est profitable à son existence.
Ceci n’est autre que le cours logique de l’évolution des espèces théorisée par Charles Darwin et étoffée depuis par d’autres. La nature ignore l’idée « d’espèces nuisibles », car dans l’histoire de l’évolution, les migrations sont un mécanisme déterminant dans la survie des espèces, cherchant et profitant d’un environnement propice à leur développement.
La nature fait toujours bien les choses
Bien que gênant, le frelon asiatique et sa capacité à s’adapter dans nos contrées n’est pas que le fruit d’une banale erreur humaine. Il est en soi naturel que sa présence s’accentue. Mais ce développement ne se fait pas sans quelques conséquences inattendues pour l’espèce elle-même.
Récemment, des chercheurs de l’université de Tours ont constaté que le frelon asiatique avait bouleversé son cycle de reproduction sous nos latitudes. Au printemps, les colonies compteraient un nombre anormalement élevé de frelons mâles, qui s’avèrent diploïdes (ayant deux séries chromosomes) au lieu d’être normalement haploïdes (une seule série de chromosomes). Cette situation serait symptomatique d’un accroissement pathologique de la consanguinité chez l’espèce à cause d’un patrimoine génétique trop peu diversifié.
La découverte des chercheurs de Tours expliquée en vidéo
Une situation qui s’avère problématique pour le frelon, car au lieu de donner naissance à des ouvrières, les reines donnent naissance à des mâles improductifs. De plus, les jeunes reines qui se seront accouplées avec ces mâles diploïdes donneront des frelons mâles qui seront stériles. Ce qui obligera l’espèce à s’adapter d’une manière ou d’une autre pour survivre dans le temps.
Par ailleurs, l’environnement lui-même pourrait être dangereux pour le frelon. En plus des prédateurs habituels comme les oiseaux, les abeilles développent aussi leurs propres techniques de défense: des abeilles ouvrières forment une ligne de défense près de l’entrée des ruches pour attraper, immobiliser et tuer l’intrus en le cuisant sur place. Une technique qui pourrait se répandre dans les colonies et limiter fortement le pouvoir de nuisance du frelon.
Les espèces exotiques ne sont pas nécessairement nuisibles
Nous avons pour habitude de voir certaines espèces animales et végétales familières. Et voir de nouvelles espèces inconnues dans nos contrées et ayant un comportement différent des autres conduit à ce qu’on peut penser être gênant et doit donc être éliminé. Or, la nature se moque bien de savoir ce que l’on juge mauvais ou bon pour nous. Bon nombre d’espèces d’ailleurs que nous jugeons normal de voir furent des espèces exotiques avant, comme les chevaux sauvages ou les moineaux domestiques en Amérique du Nord.
C’est quoi une espèce exotique ?
L’évolution est une succession de changements, aussi bien génétiques qu’environnementaux. Si l’environnement change, alors des espèces meurent et les autres s’adaptent. C’est notamment ce que montre l’exemple des frelons asiatiques. Bien que cette espèce en particulier soit nuisible pour nous et que nous soyons responsables de sa présence, l’environnement semble finalement s’en accommoder et finit par s’adapter.
Cependant, il existe évidemment parfois des espèces exotiques particulièrement problématiques, telle que le moustique tigre, vecteur de maladies pour l’Homme. Cependant, notre approche sur le fonctionnement de la nature demeure encore fortement influencée par un sentiment propre à l’Homme: croire que nous pouvons disposer de notre environnement comme bon nous semble. Et c’est là que se situe l’erreur, car en réalité nous ne sommes pas maître de notre environnement, et encore moins capable d’en empêcher son changement, surtout à l’heure du réchauffement climatique.
Crédit photo principale : Wikimedia – Joe Carey