L’impact de la sixième extinction de masse est tout aussi crucial que celui du dérèglement climatique, affirme Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, lors de la Journée mondiale de la biodiversité.
Un état des lieux alarmant de la biodiversité mondiale
En marge de la Journée mondiale de la biodiversité, Marc-André Selosse, expert en biologie au Muséum national d’histoire naturelle et auteur de _Nature et préjugés. Convier l’humanité dans l’histoire naturelle_ (Actes Sud, 2024), met en exergue la gravité de la situation. Actuellement, un quart des espèces animales et végétales, soit environ un million d’entre elles, sont menacées de disparition. Lors de la COP15 tenue à Montréal en 2022, un accord important avait été conclu pour protéger 30 % des terres et des mers d’ici 2030. Malgré ces efforts, l’extinction de masse des espèces demeure une crise écologique majeure, comparable à celle du changement climatique.
Les enjeux méconnus de la crise de biodiversité
Alors que tout le monde connaît le GIEC, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), son équivalent pour la biodiversité, demeure largement ignoré. Pendant la dernière campagne présidentielle en France, la biodiversité n’a accaparé que 1 % du temps de parole total, contre 3 % pour le changement climatique. Pourtant, les conséquences des deux phénomènes sont aussi désastreuses pour l’humanité. Les interactions entre le déclin de la biodiversité et le changement climatique sont significatives. Par exemple, la déforestation contribue à la perte de la biodiversité à hauteur de 30 %, tandis que 14 % de cette perte est directement liée au dérèglement climatique.
Impact sur les écosystèmes et les ressources
Marc-André Selosse souligne l’ignorance générale concernant l’importance de la biodiversité. Les ressources naturelles que nous exploitons pour l’alimentation, ainsi que les organismes qui maintiennent les écosystèmes en équilibre, sont essentiels pour des processus comme le stockage du carbone. La destruction des sols par le labourage excessif, les engrais et les terres en jachère en hiver sont autant de pratiques qui perturbent la richesse du sol et sa capacité à soutenir la vie.
La perte de biodiversité a aussi des conséquences sur la dégradation des sols, entraînant une moindre capacité à absorber les polluants et une augmentation des besoins en engrais minéraux pour maintenir la fertilité. Cela crée une spirale de dépendance envers des intrants chimiques, exacerbant ainsi les problèmes environnementaux.
La crise de la biodiversité, une crise humaine
Marc-André Selosse précise qu’il ne s’agit pas simplement d’une crise de la biodiversité, mais d’une crise de la vivabilité de la Terre pour les humains. L’argument selon lequel nous n’avons pas besoin de toutes les espèces est fallacieux. Si des espèces se maintiennent en faible nombre aujourd’hui, cela pourrait compromettre des découvertes cruciales, comme certains médicaments. Des études montrent que la diminution de la diversité microbienne contribue à l’augmentation des maladies modernes telles que les allergies, le diabète ou encore la maladie de Crohn.
Solutions technologiques et alternatives basées sur le vivant
Les réponses technologiques actuelles offrent peu d’espoir. Par exemple, l’agriculture moderne utilise des engrais et des pesticides de manière excessive sans exploiter le potentiel du vivant. Des pratiques comme la plantation de haies, qui stockent du carbone et abritent une biodiversité riche, sont paradoxalement menées de pair avec l’arrachage de haies existantes. En parallèle, des méthodes d’agriculture non labourée, favorables à la biodiversité et au stockage du carbone, rencontrent des obstacles car elles n’ont pas de lobby industriel puissant pour les soutenir.
Les solutions technologiques actuelles n’apportent pas toujours les réponses nécessaires. Par exemple, dans les serres de tomates, des colonies de bourdons sont utilisées pour polliniser, reconnaissance tacite de l’incapacité à remplacer le vivant. Marc-André Selosse encourage à explorer davantage le potentiel du vivant comme outil dans divers secteurs, même si cela reste plus complexe pour la production d’énergie sans nuire à la biodiversité.
Conserver et agir
Il est essentiel de maintenir des zones protégées où aucune intervention humaine n’a lieu afin de préserver la biodiversité. Toutefois, la France, bien qu’exemplaire en termes de superficie de zones protégées, ne respecte pas toujours les principes de protection, comme en témoignent des pratiques controversées de chalutage dans les réserves marines.
Un avenir incertain pour les engagements en matière de biodiversité
Les engagements nationaux, tels que le Plan Écophyto, montrent des signes de faiblesse. Les promesses de « zéro artificialisation nette des sols » sont régulièrement mises à mal par des exceptions et des compromis. La France continue d’artificialiser des surfaces agricoles équivalentes à celles qui pourraient nourrir une ville entière comme le Havre en un an, compromettant ainsi les objectifs de protection de la biodiversité.
Pour des générations futures, la question persiste : sommes-nous vraiment prêts à changer notre approche avant que les effets irréversibles de cette crise n’altèrent profondément nos vies ?