Si le secteur de la santé en France a été malmené ces dernières décennies, certaines stratégies mises en place sont malgré tout couronnées de succès. C’est le cas de la médecine collaborative où des professionnels de santé aux compétences complémentaires travaillent main dans la main, comme c’est le cas dans la lutte contre le surpoids et ses conséquences.
« Les maisons de santé, pluriprofessionnelles, qui regroupent médecins généralistes et différents paramédicaux ou pharmaciens, se multiplient sur le territoire et sont présentées comme une réponse à une offre de soin de plus en plus inégale sur le territoire », écrivait en 2019 Nadège Vezinat dans le livre référence intitulé Vers une médecine collaborative. Cette sociologue universitaire, également membre du Centre Maurice Halbwachs, y décortiquait les différentes voies possibles pour les institutions publiques et pour les acteurs privés afin de mieux coordonner leurs actions, grâce à la pluridisciplinarité au sein des structures.
La pluridisciplinarité, pierre angulaire de la (bonne) santé
Le traitement des maladies provoquées par la surcharge pondérale est probablement l’un des meilleurs exemples où cette pluridisciplinarité des professionnels de santé prend tout son sens. Dans son rapport intitulé Surpoids et obésité de l’adulte : Rôle des professionnels impliqués dans le parcours de soins paru en janvier 2023, la Haute autorité de santé (HAS) souligne en effet que « l’obésité est une maladie chronique complexe et multifactorielle qui nécessite une évaluation multidimensionnelle, le plus souvent pluriprofessionnelle, une définition avec la personne soignée des objectifs personnalisés de soins, une graduation des interventions qui dépendent de la complexité et de l’évolution de la situation, et un suivi long souvent à vie ». Les différentes compétences – des médecins, des infirmiers, des diététiciens, des psychologues… – sont ainsi réunies pour maximiser les chances de guérison des troubles alimentaires. En effet, interrogée dans Médecins, le magazine du Conseil national de l’Ordre des médecins, Anne-Laure Borel, endocrinologue et responsable du centre spécialisé dans l’obésité Grenoble Arc Alpin, explique que « pour qu’elle soit précoce et donc efficace, la prise en charge doit coupler dès les stades les moins sévères du surpoids ou de l’obésité, un suivi psychologique, des consultations de diététiques et une activité physique adaptée. Avec, comme objectif, la diminution des risques de maladies comme la NASH (acronyme anglais qui signifiant stéatohépatite non alcoolique), le diabète de type 2, les maladies cardio-vasculaires et respiratoires, l’excès de cholestérol ou l’hypertension artérielle. Et bien d’autres encore.
Le traitement de la surcharge pondérale ne consiste pas en un simple régime pour perdre quelques kilos : il s’agit de mettre en place une nouvelle discipline de vie, encadrée médicalement et accompagnée de manière personnalisée par un nutritionniste ou un diététicien. En France par exemple, le réseau de centres du groupe Éthique & Santé propose son programme breveté RNPC (Programme de rééducation nutritionnelle et psycho-comportementale) à ses patients : « La seule méthode thérapeutique qui ait montré son efficacité contre toutes les pathologies associées à la surcharge pondérale est la perte de poids, et plus précisément, la perte de poids ciblée sur la masse grasse viscérale, précise Rémy Legrand, concepteur du programme RNPC. De nombreuses études ont montré qu’une perte de poids de 10 à 15% du poids initial permettait la rémission de la plupart de ces pathologies, dont la stéatohépatite métabolique. C’est exactement ce que permet d’atteindre le programme RNPC en réduisant le risque de stéatose hépatique, comme cela a été démontré dans une importante étude, publiée dans ‘Obesity Medicine’, sur plus de 10000 personnes. Ce programme n’est pas qu’un simple régime ; il s’agit d’une thérapeutique à part entière qui mériterait d’être prescrite par les médecins, au même titre qu’un médicament ou qu’un dispositif médical et qui, contrairement à un simple régime, est une méthode à court, moyen et long terme. » L’un des objectifs de cette méthode est aussi d’éviter le recours à la chirurgie bariatrique (anneau gastrique, sleeve, bypass…) que proposent de nombreuses cliniques en France.
Des partenariats bienvenus
Parmi toutes les pathologies liées à la surcharge pondérale, la NASH (stéato-hépatite non alcoolique) fait aujourd’hui de plus en plus parler d’elle dans les publications spécialisées, et même dans la presse grand public. Souvent surnommée la « maladie du foie gras humain » ou « maladie du soda », elle touche de plus en plus d’adultes et d’enfants dans les pays industrialisés, et affecterait déjà 1 Français sur 10. Aux États-Unis, elle concernerait également 12% de la population et 22% des diabétiques. « Face à la progression fulgurante de la maladie, les médecins s’inquiètent ; certains s’attendent à ce que la NASH devienne, dans les prochaines années, la première cause de greffe du foie », alerte la CFE dans une plaquette préventive.
Pour éviter le scénario du pire, la médecine collaborative sort donc l’artillerie lourde : parallèlement aux traitements pluridisciplinaires – comme le programme RNPC –, un meilleur diagnostic de la NASH, plus précoce, permet de limiter les risques. En 2022 par exemple, les sociétés pharmaceutiques Echosens et Novo Nordisk ont annoncé un partenariat destiné à, dans un premier temps, améliorer la précocité du diagnostic de la NASH et à sensibiliser les patients et les prestataires de soins. Selon Camilla Sylvest, vice-présidente exécutive pour la stratégie commerciale et les affaires générales chez Novo Nordisk, il faut « développer de nouvelles options thérapeutiques et à faire progresser les soins nécessaires à cette maladie grave et chronique. Pour concrétiser cette ambition, il est important de s’assurer que nous pouvons identifier les personnes qui ont besoin de soins. Mais nous ne pouvons pas y arriver seuls et, grâce à notre partenariat avec Echosens, nous espérons tirer profit de nos compétences complémentaires et répondre ainsi aux besoins des patients, des prestataires de soins et des autres parties prenantes qui s’efforcent de lutter contre cette épidémie silencieuse ». Dans un deuxième temps, Novo Nordisk travaille actuellement à la conception d’un traitement médicamenteux, qui serait prescrit chez certains patients en complément de l’approche diététique et psychologique.
Dans leur ouvrage commun intitulé Regards croisés sur le diabète, les docteurs Michel Pinget et Arnaud Bubeck soulignent eux aussi les avantages de l’approche pluridisciplinaire : « Si chaque discipline continue de progresser pour en apprendre davantage sur l’aspect biologique ou social par exemple, il reste de nombreuses découvertes à faire en rapprochant les disciplines et en créant de nouveaux ponts entre les savoirs. Pour appréhender ces interactions, il est nécessaire d’adopter une démarche différente de celle qui est habituellement proposée pour se diriger vers une optique pluridisciplinaire. » À la tête du REDOM à Strasbourg, le Dr Michel Pinget (endocrinologue-diabétologue) applique lui aussi ces principes « d’éducation thérapeutique » en conjuguant les compétences des médecins, diététiciens, infirmiers, podologues, dentistes, psychologues, etc.
La lutte contre le surpoids et toutes ses conséquences sur la santé intéresse de plus en plus de médecins. En juillet dernier à Marseille s’est tenu le 3e congrès RNPC au cours duquel se sont succédées au micro des pointures internationales de la lutte contre la surcharge pondérale et ses comorbidités comme le Dr Arne Astrup (Danemark) ou le Dr Michael Lean (Royaume-Uni), mais aussi plusieurs médecins et universitaires français. Selon le Dr Gilles Mithieux, directeur de l’INSERM à Lyon et modérateur de l’un des débats, « perdre du poids a toujours un effet bénéfique. Seule l’ingestion diminuée de calories peut être efficace pour perdre du poids ». Encore faut-il, pour y arriver, suivre les programmes pluridisciplinaires existants ayant prouvé leur efficacité et leur sécurité pour le patient.