Épuisés par plusieurs années de crise sanitaire, les personnels de santé attendaient beaucoup des annonces d’Emmanuel Macron en ce début d’année. Si le président a promis un certain nombre d’avancées attendues par la profession, visant notamment à fluidifier la gestion bureaucratique de l’hôpital, d’autres projets pourraient s’inscrire à rebours de cette ambition réformiste. Ainsi en est-il du concept de tiers payant intégral qui, s’il voyait effectivement le jour, pourrait s’avérer contre-productif.

Mardi 14 février, le Sénat a adopté la proposition de loi « portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé ». Le gouvernement avait, un mois plus tôt, engagé la procédure accélérée sur le texte, qui avait été adopté le 19 janvier par l’Assemblée nationale. Partant du constat que six millions de Français n’ont, aujourd’hui, pas de médecin traitant, l’objectif principal de la loi est de faciliter l’accès des patients aux soins médicaux, en actionnant un levier bien particulier : celui du champ de compétence des professionnels de santé. Plutôt que d’ouvrir de nouveaux hôpitaux ou d’attendre que de jeunes médecins terminent leurs très longues études, le gouvernement fait donc le choix d’étendre les compétences des professionnels de santé d’ores et déjà en exercice, afin de leur permettre de répondre aux besoins des patients.

Les principales mesures adoptées par les deux chambres concernent notamment : la revalorisation de la profession d’infirmier en pratique avancée, ces derniers pouvant désormais prescrire, comme les médecins, des médicaments ; l’ouverture d’un accès direct, sans passer par un médecin généraliste, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes ; la création d’une profession d’assistant dentaire de niveau II, qui pourra se voir déléguer davantage de tâches ; l’ouverture des critères pour devenir préparateur en pharmacie d’officine ; le droit, pour les opticiens, de modifier la prescription de lunettes ou lentilles de contact sans que le patient ait besoin de reprendre rendez-vous avec son ophtalmologue ; etc. Comme ces quelques dispositions le montrent bien, il s’agit donc, en somme, de faire mieux sans dépenser plus, en faisant sauter certaines barrières interdisant jusqu’alors certains actes à certains professionnels de santé, mais sans réelle prise en compte de l’évolution associée du rôle de coordinateur de soins exercé jusque là par les médecins.

« Pas de recette miracle »

Bienvenues, ces nouvelles mesures parviendront-elles à éteindre l’incendie qui couve dans un monde de la santé mis à rude épreuve depuis la crise sanitaire ? On est en droit d’en douter, tant le secteur semble embourbé dans une « crise sans fin », de l’aveu même d’Emmanuel Macron. Le chef de l’État, qui présentait ses vœux aux professionnels de santé le 6 janvier dernier – une première depuis son accession au pouvoir en 2017 –, n’a pu que constater l’échec, ou au mieux l’insuffisance, des politiques et réformes menées, y compris par son gouvernement, pour tenter de redresser la barre d’un système de santé à la dérive. Devant les premiers concernés, le président s’est donc solennellement engagé à « aller beaucoup plus vite, beaucoup plus fort et (à) prendre des décisions radicales ». « Un changement de cap et de rythme », pour reprendre l’analyse du Monde.

Alors que les personnels médicaux font état d’un épuisement chronique et que de plus en plus de Français peinent, en ville comme à l’hôpital, à accéder aux soins les plus ordinaires, Emmanuel Macron a fait un certain nombre d’annonces attendues. Au premier rang desquelles la fin progressivement programmée, dès 2024, de la très controversée tarification à l’acte, qui fait dépendre les revenus des hôpitaux et cliniques du nombre et de la nature des actes et séjours facturés. Un modèle entretenant la concurrence entre établissements et qui encourage, comme l’a aussi reconnu le chef de l’État, une forme de « course à la rentabilité » tout en favorisant la « cadence infernale » des soignants, et ce au détriment de la qualité et de l’universalité des soins.

Semblant tourner le dos au dogme selon lequel l’hôpital serait une entreprise comme une autre, Emmanuel Macron a également promis de revoir la gouvernance des établissements de santé, en permettant de placer à leur tête un « tandem administratif et médical » – une réponse explicite à ceux, nombreux, qui critiquent la dérive bureaucratique des hôpitaux. Dans la même veine, le président de République a aussi plaidé pour un aménagement des 35 heures, aujourd’hui caractérisées selon lui par une « hyper-rigidité ». Enfin, concernant la médecine de ville -dont il faut noter que les représentants n’avaient pas été invités- l’Elysée mise sur le recrutement de milliers de nouveaux assistants médicaux à même de soulager les médecins dans leur exercice, tout en s’engageant à ce que chaque patient souffrant d’une maladie chronique se voit proposer, d’ici à la fin de l’année, un médecin traitant – ou, à défaut, l’accès à une « équipe traitante » pluridisciplinaire.

Le tiers payant intégral, une fausse bonne idée ?

Quoiqu’il en soit, a encore concédé Emmanuel Macron, il n’existe pas de « recette miracle » pour sauver le système de santé français. Mais peut-être existe-t-il, en revanche, des recettes… à éviter à tout prix. Ainsi en est-il du projet de « tiers payant intégré » (TPI), dévoilé dans la négociation de la nouvelle convention médicale, qui pourrait être adopté dans les tous prochains mois : alors que le modèle de sécurité sociale français semble plus que jamais sous tension, l’idée consisterait à se passer des services existants mis en place par les mutuelles pour faire reposer le remboursement des dépenses de santé en médecine de ville sur la seule assurance maladie. Et peut-être plus tard les hospitalisations, les médicaments, les prothèses auditives ou les lunettes ?

Pourtant, les complémentaires santé ne couvraient en 2022 que 14% des remboursements, 78% du montant global étant d’ores et déjà assumé par la sécurité sociale. A l’heure où il n’est question que de dé-bureaucratiser le modèle de santé français, cette « nationalisation » d’un service assuré par les mutuelles pourrait sonner le glas de l’exception française issue du Conseil national de la résistance. Marche arrière toute.

Le président auto-proclamé de la « start-up nation » acceptera-t-il d’associer son nom à une réforme synonyme de nouvelles lourdeurs administratives ? S’il est encore trop tôt pour le dire, Emmanuel Macron semble, en tout état de cause, décidé à ne pas laisser la situation se détériorer davantage : en plein examen du projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, le gouvernement a ainsi proposé une nouvelle rallonge budgétaire de 600 millions d’euros pour venir en aide à des hôpitaux croulant sous le poids d’une triple épidémie de Covid-19, grippe et bronchiolite. Sur tous les fronts, la majorité se démène donc pour tenter de convaincre les Français de sa volonté de ne pas laisser le modèle de santé français couler corps et biens. Reste à savoir si, dans sa fièvre réformiste, elle fera les bons arbitrages.

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Jessica, journaliste aguerrie avec une solide expérience en gestion de projet et rédaction web, est diplômée de Sciences Po en Communication et Médias. Elle capte l'attention par des contenus précis et percutants, couvrant les évolutions médiatiques avec rigueur et clarté. Contact : [email protected].

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