Après une autorisation controversée, le Flibanserin, aussi appelé « viagra féminin », provoque à nouveau la polémique outre-Atlantique.
Nous en avions parlé il y a quelques mois: le viagra féminin – une appellation tout à fait inappropriée pour ce produit – venait d’obtenir l’autorisation par l’administration américaine d’être vendu sur le marché étasunien. Et déjà à l’époque, le produit était plutôt critiqué: effets secondaires assez nombreux et inquiétants, une action sur la libido féminine incertaine, lobbying agressif…
Bref, le Flibanserin avait parcouru un long chemin semé d’embûches avant d’être proposé à la vente aux Etats-Unis. Depuis, quels sont les résultats obtenus ? Est-ce que le médicament se vend bien ? Et malheureusement, à toutes ces questions, les réponses risquent d’être désagréables. Faisons le point.
Qu’est-ce que le Flibanserin ?
Il convient d’abord d’éclaircir un point. Beaucoup présentent le Flibanserin sous l’appellation de « viagra féminin ». Première erreur, car le Viagra a une action mécanique, agissant sur l’afflux sanguin dans le pénis et favorisant en conséquence l’érection. Le Flibanserin agit évidemment autrement: c’est une molécule qui agit sur les neurorécepteurs pour accroître la production de dopamine et de noradrénaline, deux hormones qui participent à l’excitation sexuelle.
Comme il s’agit d’un mécanisme différent, on obtient donc une façon de consommer en conséquence différente. Si la pilule bleue pour les hommes n’exige rien de plus qu’une prise peu de temps avant le rapport sexuel, la pilule rose pour les dames demande une prise quotidienne sur une période assez longue, estimée entre 6 et 8 semaines. Cependant, la molécule développée par les laboratoires Sprout Pharmaceuticals implique de grosses contraintes: en plus de contre-indications assez lourdes comme ne pas consommer d’alcool par exemple, des effets secondaires assez graves peuvent survenir tels que la somnolence, des évanouissements ou des chutes de la tension artérielle.
En plus de ces éléments, l’efficacité de la molécule était déjà l’époque sujette à de vives discussions. Les essais cliniques furent en effet peu concluants, les résultats démontrant que son efficacité demeurait à peine plus importante qu’un placebo. On peut donc se poser la question si cela vaut le coup de prendre autant de risques et subir autant de contraintes pour une efficacité in fine incertaine.
Crédit photo: Flickr – Abd allah Foteih
Une commercialisation polémique en 2015
En dehors des considérations médicales, le Flibanserin, qui est commercialisé sous le nom « Addyi » depuis l’été 2015 aux Etats-Unis, suscita de vives réactions dans la société civile et le monde politique américain.
Une association s’y était notamment opposée et continue encore de lutter contre: la National Women’s Health Network. Lorsque la Food and Drug Administration donna son feu vert à la vente du médicament, l’association affirmait notamment que les effets secondaires et les contre-indications représentaient une prise de risque considérable pour des effets réduits sur la libido.
Dans le même temps, un lobbying intense fut entrepris par l’entreprise auprès de médecins, d’associations féministes et d’hommes politiques aussi bien démocrates que républicains, afin d’inciter la FDA à accepter la commercialisation de la molécule. L’association Even The Score fut notamment en première ligne pour exiger la mise en vente du Flibanserin, tout en attirant vers elle de lourdes suspicions sur son financement opaque et dont trois groupes pharmaceutiques, Sprout inclus, sont sur la liste des donateurs. De quoi créer de sérieux doutes sur les motivations de cette association.
Où en est le Flibanserin depuis cette polémique ?
Le lendemain de l’obtention de l’autorisation à la FDA, l’entreprise Sprout fut rachetée par une autre entreprise pharmaceutique, Valeant Pharmaceuticals International, pour un montant d’un milliard de dollars. Deux fois plus que la valeur réelle de Sprout deux mois auparavant. On peut se dire alors que l’avenir serait radieux pour ces deux entreprises. En réalité, ce n’est que le début d’une descente aux Enfers.
Depuis la mise en vente du fameux Addyi, moins de 4000 prescriptions ont été délivrées depuis le mois de février d’après le New York Times, ce qui est tout bonnement un échec cuisant pour ce produit qui a pourtant bénéficié d’une visibilité médiatique majeure. Par ailleurs, le prix de vente d’Addyi a simplement doublé peu de temps après le rachat de Sprout par Valeant. Enfin le distributeur exclusif du médicament, Philidor Ex Services qui vend la molécule par correspondance, rompît ses liens avec Valeant.
Conséquence de ces ventes médiocres et de ces choix commerciaux désastreux, les actions de Valeant Pharmaceuticals se sont écroulées en perdant 85% de leur valeur, faisant passer l’entreprise pour un paria du secteur pharmaceutique.
Pire encore, de nouvelles analyses sur le produit ont été menées. Des chercheurs des Pays-Bas ont évalué l’efficacité du Flibanserin et ont alors analysé huit études portant sur environ 5900 femmes. Les résultats, publiés dans le JAMA Internal Medicine, concluent que Addyi apporte « la moitié d’un rapport sexuel satisfaisant supplémentaire par mois ». Une conclusion qui n’est guère différente aux autres essais cliniques qui avaient été présentés aux autorités fédérales américaines lors de la demande d’approbation du médicament et qui émettaient déjà de fortes réserves sur l’efficacité de la molécule.
Crédit photo principale : Sprout Pharmaceuticals
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