Quelques semaines après la clôture du CES de Las Vegas, l’Intelligence Artificielle (IA) continue d’attirer l’attention, tant dans le secteur des affaires que dans les milieux écologistes. Selon certains, l’IA pourrait même devenir la clé de la lutte contre le changement climatique, mais cela ne risque-t-il pas de repousser la mise en œuvre de solutions simples et immédiates ?
Un productivisme exacerbé par l’IA
Les annonces se multiplient pour vanter les mérites de l’IA dans la lutte contre le gaspillage et l’optimisation des ressources. Les géants industriels, y compris les compagnies pétrolières, s’emparent du discours en promettant une réduction de notre empreinte carbone grâce à l’IA. Des cas concrets existent : certains data-centers de la Silicon Valley consomment moins d’électricité grâce à l’IA, et à Berlin, une expérimentation a permis de réaliser une économie de 25% sur le chauffage dans plusieurs appartements.
L’État français ne reste pas en retrait. Des investissements considérables sont annoncés pour faire de la France un leader en matière d’IA écologique. Le gouvernement mise sur des IA dites « frugales », promettant des réductions de consommation énergétique colossales. Ce discours semble propulser une nouvelle vague de technosolutionisme, où plus d’innovation résoudrait forcément plus de problèmes. Mais faut-il vraiment compter sur ce nouveau jalon technologique pour résoudre une crise issue du surproductivisme ?
Les dangers cachés de l’IA
Si les avantages de l’IA existent bel et bien, ils doivent être équilibrés avec leurs impacts négatifs. L’IA standard est tout sauf frugale. Une requête banale à des logiciels d’IA comme ChatGPT consomme autant qu’une heure d’éclairage d’une lampe LED. En extrapolant, l’extension de l’IA à une échelle massive pourrait aboutir à une consommation énergétique rivalisant avec celle de pays comme les Pays-Bas ou l’Argentine.
Aujourd’hui, les IA sont encore centralisées et monopolistiques. La vision d’une IA omniprésente semble lointaine, surtout face aux limites planétaires en termes de ressources. Une systématisation de son utilisation risquerait de réintroduire des problèmes que nous pensions résoudre, en exacerbant notamment les inégalités énergétiques. L’IA, intégrée à nos sociétés de consommation, pourrait se transformer en un outil facilitant encore davantage la surproduction et la surconsommation.
Le mythe du découplage
Les défenseurs de l’IA recyclent un vieux concept : celui du découplage entre la croissance économique et l’utilisation des ressources naturelles. Ce phénomène, censé permettre une expansion économique sans impact environnemental, n’a pour l’instant jamais été observé à grande échelle. L’Agence Européenne pour l’Environnement a pris acte de cet échec en 2021.
La révolution technologique brandie par certains ne fait que prolonger et intensifier les travers de notre système actuel. Les projets d’IA frugale ressemblent davantage à des promesses utopiques, comparables aux rêves d’avions à hydrogène ou de fusion nucléaire. Des experts comme Denis Trystram, professeur à l’université de Grenoble, estiment qu’il est urgent de remettre en cause notre modèle de développement dans son ensemble. Il s’agit non pas de chercher des solutions miracles, mais de repenser nos usages et comportements pour déterminer ce qui est vraiment nécessaire.
Le retour aux solutions de bon sens
En réalité, nombreuses sont les situations où le bon sens pourrait remplacer la complexité des technologies IA. Les optimisations réalisées dans les appartements berlinois, par exemple, se basent sur la simple présence ou absence des occupants. Un dispositif complexe est-il vraiment indispensable pour cela ? Autre exemple : pour identifier les appareils énergivores, la main humaine suffit depuis des millénaires. Si un appareil chauffe anormalement, il consomme probablement trop d’énergie.
La sobriété énergétique ne réside pas dans les avancées technologiques, mais dans une meilleure gestion des ressources existantes. Consommer de manière plus rationnelle nécessite davantage de changements comportementaux que de nouvelles inventions. Les avancées numériques ont un rôle à jouer, mais elles ne peuvent se substituer à des pratiques raisonnées.
Notre approche de la technologie et de l’environnement doit évoluer au lieu d’alimenter une fuite en avant. Penser que l’IA peut résoudre tous nos problèmes sans transformer notre manière de vivre est illusoire. Pour faire face aux défis environnementaux, aurions-nous simplement oublié que la solution réside aussi dans des choix quotidiens et accessibles à tous ?