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Urbanisme et science de la terre : comment sauver la ville du futur ?

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Pixabay - PIRO4D

Le constat n’est pas nouveau : la construction d’une ville implique un réaménagement de l’espace occupé par la nature. Historiquement, le déploiement des villes a été le fruit de décisions politiques, pressées par l’exode rural, lui-même issu d’une attractivité de l’emploi et des services urbains. Paradoxalement, la ville a échappé aux urbanistes et aux scientifiques qui cherchent désormais à la repenser avant qu’il ne soit trop tard. Les émissions de carbone sont un des problèmes fondamentaux d’écologie urbaine et c’est seulement par une réflexion croisée entre la science de la terre et la recherche en urbanisme que l’on peut penser une solution pratique véritablement efficace. Pourra-t-on jamais avoir assez d’arbre pour absorber tout le COémis par les villes, comme se plaisent à l’affirmer certains détracteur de l’idée d’écologie ? Comment penser — et sauver — la ville du futur ? Quel est l’impact réel d’un projet comme le Grand Paris, sur ces questions ? En multipliant les expertises pour envisager la question de manière globale, nous avons tenté de résoudre l’équation.

Le CO2 est nécessaire à la vie des végétaux chlorophylliens et donc à celle des arbres. Pour autant, peut-on espérer des arbres qu’ils éliminent tout ou partie du dioxyde de carbone que nous rejetons ? La concentration de CO2 dans l’atmosphère est actuellement estimée entre 390 et 395 ppm en volume (voir encadré). À titre de comparaison, elle n’était que de 280 ppm durant la période préindustrielle. Ces 390 ppm représentent, en masse, 3000 milliards de tonnes de CO2 (ou 3000 gigatonnes). La teneur en CO2n’a jamais été aussi forte au cours des 2,1 millions d’années qui viennent de s’écouler au cours de l’histoire de la Terre. Et, malgré une brève accalmie en 2009, imputée aux effets de la crise, les prévisions pour les années à venir ne sont pas optimistes.

Pour les émissions d’origine humaine, les estimations varient mais 35 milliards de tonnes par an est un bon ordre de grandeur (35 gigatonnes donc). Parmi ces rejets, 41 % proviennent de la combustion du pétrole. Évidemment, tout ce CO2 ne stagne pas dans l’atmosphère. Les différents modules du cycle du carbone impliquent sa remobilisation dans les différentes enveloppes terrestres. Au final, l’accroissement annuel est estimé à 4 gigatonnes de carbone par an ou +1,1ppm en volume.

Il suffirait donc de connaître la capacité d’absorption d’un arbre pour en déduire le nombre d’arbres à planter pour résorber tout cet excès de CO2… pas si simple. D’abord il faut avoir une idée précise, au moins en ordre de grandeur, de ce qu’un arbre peut absorber en quantité de CO2. Et déjà, tout se complique.

Les estimations varient grosso modo d’un facteur 1 à 10 : entre 2,5 et 35 kg de carbone par arbre et par an selon des études canadiennes. De nombreux facteurs sont à prendre en compte : espèce, taux de croissance, âge, taille, diamètre et santé de l’arbre ainsi que climat, intensité lumineuse, disponibilité en eau et minéraux. Les peuplements jeunes et en pleine croissance sont ceux qui consomment le plus de CO2. Aujourd’hui, on estime que la forêt contient 53 % du carbone stocké par les écosystèmes terrestres (les 46 autres pourcents sont contenus dans les landes, tondra, prairies tempérées, savanes tropicales et forêts boréales). À titre d’exemple, la forêt amazonienne consomme 3740 kg de CO2 par seconde soit, 0,167 gigatonne par an. L’ensemble de la végétation terrestre absorbe quant à elle presque 4 millions de kilos de CO2 par seconde soit 120 gigatonnes par an.

C’est énorme ! Et puisque c’est largement plus que les excédents produits par l’homme (4 gigatonnes), adieu le protocole de Kyoto, les sommets de Rio, aux oubliettes le GIEC et toutes les prévisions alarmistes ? Non, évidemment.

Les arbres et la végétation ne font pas que consommer du CO2, ils en sont aussi producteurs et c’est là que les choses deviennent plus subtiles. En effet, la journée, les végétaux chlorophylliens utilisent du CO2 pour la photosynthèse, mais la nuit, ils respirent et rejettent du CO2. Et ce n’est pas tout, en mourant, les arbres libèrent de la matière organique qui se décompose et relâche du CO2 dans l’atmosphère. Le CO2 n’est pas éliminé par la forêt, il est fixé. Et c’est là toute la difficulté à l’établissement de modèles de réduction du CO2 dans l’atmosphère par le fait de la plantation d’arbres.

Le végétal utilise le carbone du CO2 pour se construire, le carbone est une brique fondamentale du vivant. Quand l’arbre meurt, le carbone qu’il a stocké retourne pour partie dans l’atmosphère (à nouveau sous forme de CO2 ou de méthane) et pour partie dans les sols sous des formes plus stables (où il est stocké de quelques mois à quelques milliers d’années). L’impact d’une forêt doit donc être estimé en soustrayant ce quelle émet (déboisements, coupes et bois morts) à ce qu’elle absorbe (croissance, photosynthèse et absorption par le sol).

Le bilan du cycle végétal, sans intervention humaine est globalement neutre. De même, une forêt non exploitée et mature a son stock de carbone à l’équilibre, elle n’émet ni ne soustrait de carbone. Cependant, une forêt mature, exploitée de façon durable peut aboutir à un effet nommé puits de carbone, c’est-à-dire réellement une possibilité d’éliminer durablement le CO2 atmosphérique. Cela implique que les arbres soient régulièrement extraits par des coupes, et non laissés à leur triste sort, et que le bois soit conservé ensuite sur de longues périodes (dans la construction par exemple).

L’effet d’absorption de CO2 est également significatif pour les forêts en croissance, dont la biomasse augmente et dont le sol s’enrichit en matière organique. A contrario, tout événement destructeur de la forêt (incendie, tempête, déforestation) entraine un relargage du carbone dans l’atmosphère. Ces équilibres sont donc éminemment précaires et le premier des dangers est la déforestation, elle doit rester la première cible de la lutte anti-CO2.

La vision doit donc être globale et à long terme. Autrement dit, ce projet peut fonctionner si on raisonne en terme de durabilité de la fixation du carbone et de l’usage du bois exploité. Ceci implique de travailler avec des essences locales, biens adaptées au site considéré, une sylviculture la plus jardinée possible et des débouchés adaptés pour le bois mis en culture.

Tout ceci ne doit pas marquer un point essentiel : Le meilleur moyen pour réduire le taux de CO2 reste encore et toujours la réduction à la source (réduction des émissions). Intégrer cette lutte contre cette explosion du CO2 au sein de la ville est une piste qui mérite attention à un moment où la part des urbains a dépassé celle des ruraux.

La ville, urb et ubris

En 2010 selon l’INSEE, 77.8 % de la population est urbaine et 21.8 % du territoire est occupé par des villes. Cette urbanisation est agressive : entre 1992 et 2004, la surface artificialisée a augmenté de 16 % pour une croissance démographique de 5,5 %. Les conclusions du Grenelle de l’environnement affichaient le chiffre de 60 000 ha nouvellement urbanisés par an, soit la surface d’un département moyen tous les 10 ans. Cette urbanisation s’attaque en priorité aux espaces agricoles à travers des extensions pavillonnaires qui sensibilisent ce sésame de notre survie future. Ne se bornant pas à supprimer des terres arables, elle exerce une anthropie directe des milieux naturels. À une plus grande échelle, elle fragmente à la fois les paysages, la biodiversité et les écosystèmes.

À la fondation d’une cité, il y a toujours une visée stratégique : un emplacement en hauteur, dans un méandre, dans une plaine alluviale à proximité d’un fleuve, sur une façade maritime. Reste que très vite en grandissant, ce milieu d’accueil s’avère être une contrainte pour la ville qui doit le soumettre. Cette décision primitive a créé cette construction culturelle et philosophique d’un berceau de la civilisation arraché à une nature ontologiquement barbare aux lois iniques.

Certes, l’homme a imaginé la domestiquer par sa force et sa volonté (défrichage médiéval, le béton contemporain), ce qui est aussi stupide que de croire à un contrôle direct sur les globules rouges de son organisme. Cette vision gomme la réalité tangible que chaque ville est un amalgame spécifique entre la terre (foncier), l’eau et l’énergie (pour se nourrir mais aussi pour se chauffer). Cette dépendance de fait avec la nature est un cadavre dans le placard, caché dans des proportions égales à mesure que la ville accroît ses besoins. Faisons acte de justice en inversant le paradigme : la ville parasite la biosphère environnante en attirant des flux de ressources primaires qu’elle modifie qualitativement et quantitativement pour améliorer son confort. Elle se transforme alors en écosystème artificiel, somme d’écosystèmes semi-naturels.

Mais qu’est-ce qu’un écosystème, au juste ? Il s’agit d’un ensemble formé par une association ou communauté d’être vivants (biocénose) et leur environnement géologique, pédologogique et atmosphérique (biotope).La ville est un écosystème incomplet presque immature qui compense sa faible production d’énergie primaire par l’apport massif de matières premières nourrissant des chaînes trophiques courtes avec une forte déperdition d’énergie. Les déchets s’accumulent ou disparaissent par apports d’énergie (combustion) en lieu et place des décomposeurs. Mais contrairement à un écosystème, la consommation humaine et urbaine n’est pas à somme nulle ou neutre : elle change le climat mais surtout affecte les cycles biogéochimiques par une pollution sonore, lumineuse, de l’air, de l’eau, du sol.

La pollution de l’air (fumée industrielles et voitures) entraine des pluies acides qui dégradent les sols et réduisent la croissance comme la résistance des végétaux. Des sols qui — quand ils ne sont pas bétonnés par des extensions urbaines peu denses — sont pollués par le stockage de déchets, l’épandage de pesticides et de boues de station d’épuration (dangers de bio-accumulation de métaux lourds). La pollution de l’eau (chimique par rejets agricoles et industriels ainsi que le ruissellement des polluants dans les sols, bactériologique, thermique par l’industrie) se concentre dans le biotope puis la biocénose, notamment par les sédiments et l’infiltration dans les nappes phréatiques. La pollution lumineuse et sonore perturbe le développement de la biocénose, dont fait partie l’humain.

En définitive, l’espèce humaine est la seule de la planète Terre qui n’hésite pas à parier sur sa survie en dégradant la pérennité de son habitat, et sur la résilience présupposée de dame nature. Audacieux : c’est un pari qu’aucun des réseaux trophiques planétaires n’ose prendre. Les villes vont avoir de plus en plus de mal à intégrer et réguler ce qu’elles considèrent comme des externalités négatives : amplitudes thermiques, pollutions, sécheresses, inondations, dégradation globale des espaces. La chance sourit de plus en plus difficilement aux audacieux comme le prouve la paralysie du système urbain et la multiplication des décès à la première perturbation climatique un peu rude. Cela laisse présager de futurs bilans accablants en pertes humaines, surcoûts sociaux et économiques. Si « gouverner, c’est prévoir », nous sommes encore en pleine anarchie.

Inverser la focale, retourner le paradigme

Albert Einstein disait avec raison : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré. » Appliqué à l’urbanisme, cela sous-entend le passage d’un urbanisme de la demande à celui de l’offre avec pour corollaire une inversion stricte de l’ordre actuel de la chaîne des priorités : économiques, sociales puis écologiques.

L’acte fondateur et préventif est de s’atteler à la gestion du sol en ville.

Il faut d’abord arrêter la ville, dessiner la frontière pour sauvegarder des surfaces agricoles dont la mise en valeur industrielle épuise déjà ses sols. C’est la fin de l’étalement. Le réveil de la rareté foncière est difficile et s’impose au rêve pavillonnaire qui diluait le lien social et ne proposait aucune intensité fonctionnelle (habitat, loisir, travail) et urbaine. D’autant plus que cela ouvre la perspective d’une renaissance : dessiner la frontière de l’urbain permettra de valoriser les zones pavillonnaires actuelles. Un nouvel empire des possibles et de l’imagination émerge. La frontière doit être particulièrement travaillée avec des transitions variant en fonction du lieu, du profil paysager, des limites déjà en place, du fonctionnement de l’espace urbain et de l’espace rural.

Conséquence logique, la ville va devoir se retourner sur elle-même en se densifiant. En zone métropolitaine, une révolution du traitement du sol doit être menée : le bitumage provoque le ruissellement des eaux, les inondations, les saturations des réseaux d’eau, les pollutions par lessivage des sols urbains. La technique existe notamment à Zagreb, en Croatie : les pavages en forme d’hexagone permettent de marcher tout en infiltrant l’eau. La réussite de cette décision forte impose un dialogue constant avec la renaturation de la ville qui est le seul moyen de rendre supportable cette densification. Il s’agit d’éviter l’effet barbecue ou mobilité de compensation, soit le fait de partir en week-end ou en voyage pour se mettre au vert.

Le second acte est de poursuivre l’actuelle logique de gestion de la pollution, certes limitée mais nécessaire. Il s’agit de réduire notre consommation en espaces, en énergies (smartgrid, mutualisation), en émissions de gaz à effet de serre (transport public), en utilisation de matières premières et de pétrole. Limitée car l’action qui aurait le plus d’impact serait la reconnexion au niveau local des fonctions éclatées par le XXe siècle entre travail, loisirs et habitat.

Une fois la ville arrêtée, le combat continue par le passage de l’actuelle logique de dénaturation à celle de renaturation de la ville. Il faut franchir le Rubicon. Renouons le plus possible avec ce concept rêvé de ville à la campagne, tant fantasmé à travers la cité-jardin d’Ebenezer Howard comme du Grand Ensemble de Le Corbusier.

D’autant plus qu’elle est présente avec une biodiversité végétale et animale en milieu urbain à la fois riche et insoupçonnée. Mais ces écosystèmes semi-naturels sont perpétuellement perturbés par des chamboulements quotidiens des chaines trophiques. L’interprétation entre ville et nature demande une révolution dans la mesure où elle est conditionnée par le dépassement des clivages entre nature/culture, rural/urbain, béton/végétal. La nature est appelée à être un élément essentiel de la composition urbaine au quotidien en passant du statut d’espace libre variable d’ajustement pour l’habitat à celui de vide structurant.

Achevons sans hésiter cette vision nihiliste de réservoir d’opportunité foncière pour de futures extensions. En se couplant avec l’espace public, elle devient l’élément noble, mémoriel et utile de la ville. Cette armature naturelle doit être faite d’espaces ayant une masse critique suffisante pour accueillir un écosystème, des lieux de transitions et surtout des liaisons entre ces zones. Elle s’insère dans l’urbain selon un rapport de valorisation réciproque et mutuelle. Cette évolution commune avec l’espace bâti renforce son attractivité, sa vitalité et le vivre ensemble. L’idée est de conforter l’écosystème artificiel actuel de la ville en consolidant ses composantes naturelles afin de lui donner une résilience face aux perturbations de toutes sortes et de raffermir la biodiversité, condition sine qua non de la vie sur terre.

Discours de la méthode

Pour ramener la nature dans la ville, la méthode est stratégique.

Premier mouvement, il faut conforter les espaces naturels existants, oubliés et clandestins. C’est la logique conservatoire. Les réservoirs de biodiversité appréhendés par les autorités publiques comme des espaces verts doivent être requalifiés en espace de refuge pour la faune et la flore. Il s’agit des parcs et jardins publics, des friches, des cimetières, des aires de jeux et équipements sportifs (golf). La dénomination d’espace vert n’est pas suffisante pour avoir un diplôme de bonne conduite environnementale. Celui-ci s’obtient par la mise en place du principe de gestion différenciée (sans produits phytosanitaires ni pesticides) selon la nature des espaces (horticole, plus sauvage, d’apparat), la fauche différenciée, plusieurs essences végétales indigènes, le compostage, le paillage des sols, la sanctuarisation de zones de préservation et de développement de la faune et la flore (interdites au public). Abusivement prénommées terrains vagues, les friches ne peuvent plus rester à l’abandon vouées au destin unique de décharge sauvage. Les forêts et boisements urbains dont la forte densité d’arbres est certainement le plus grand atout des villes dans la lutte environnementale.

Lors de la consultation du Grand Paris de 2008, le groupe MVRDV avait proposé la plantation d’une forêt d’un million d’arbres sur les zones de nuisance des aéroports parisiens afin de piéger les rejets d’hydrocarbures de l’activité aéroportuaire. Mais là aussi, il faut éviter les conflits d’usage et adopter une gestion fine de ces espaces : varier les essences, définir des zones de sénescence et d’autres de sylviculture pouvant servir à l’écoconstruction. Les vergers pédagogiques et les jardins ouvriers — familiaux — partagés et privatifs sont aussi des espaces stratégiques sur lesquels les mairies peuvent intervenir par des outils réglementaires et de zonage. Intégrons aussi la composante liée à l’eau à travers les zones humides (bassins et marais), les tourbières, les landes, les lacs et les cours d’eau. La gestion restauration, qui consiste à sacraliser et patrimonialiser ces surfaces cultivant leur solitude, ne suffit pas à assurer leur pérennité comme milieux naturels.

Le second mouvement est donc leur mise en interaction par des structures éco-paysagères aujourd’hui fragmentaires. Ces corridors écologiques permettent de conforter les habitats en mettant en réseau les écosystèmes et en rendant possible la migration de la faune et de la flore. Ce renforcement mutuel des réservoirs de biodiversité doit être effectif à toutes les échelles pour avoir un impact, en particulier en ville. Afin de sensibiliser le public, les autorités ont adopté les nominations novlangues de « trames vertes (chlorophylle pour faire vite) et bleues (eau) ». Représentations simplistes car loin d’être séparées, ces trames fusionnent en permanence en raison de leur consubstantialité réciproque. Disons que la désignation dépend de quelle part prend le dessus sur l’autre. Pour être effective, les continuités intraurbaines se prolongent en recollant celles périurbaines, naturelles et rurales dans le reste des agglomérations. L’office est largement rempli par les corridors paysagers que sont les coulées vertes, parcs linéaires et aussi la ceinture verte (préservation d’un espace circulaire qui entoure la ville).

Loin de ces corridors paysagers plutôt bien identifiés, il existe des corridors linéaires faits de délaissés urbains et ruraux : les voies de chemin de fer, les pistes cyclables et promenades, les berges des fleuves, les bords de route et les bandes végétales faites d’un tapis de plantes vivaces ou de compositions arborées. Selon les contextes, ces dernières permettant ainsi de structurer l’espace en le balisant (en pied d’immeuble, dans les contre allées, les parkway – mails). C’est bien plus efficace pour arrêter un piéton qu’un garde-corps ou une rambarde. Les berges forment un écotone (un milieu à la lisière entre les milieux terrestre et aquatique) qui joue le rôle d’espace d’alimentation, de refuge et de filtration épuratoire. Planter des arbres à proximité permet de fixer le sol et de limiter l’érosion de ces berges. Elles méritent d’être une priorité. Enfin en couplant ces corridors avec des liaisons douces, on renforce l’accessibilité globale de l’espace urbain tout en améliorant son fonctionnement écologique.

Dernier venu souffrant d’un manque de visibilité parmi les continuités écologiques, le corridor en « pas japonais » est déprécié en raison d’une composition faite de nature ordinaire et banale. Pourtant son rôle de relais entre deux grandes réserves est essentiel. Citons les alignements d’arbres comme outil de composition urbaine : la régularité de l’espace entre eux ordonne la rue en créant une perspective, structure l’espace entre public et privé, indique la hiérarchie de la voie au cœur de la ville. Ces alignements sont malheureusement souvent mono-spécifiques, ce qui limite l’émergence de la biodiversité. Mais aussi les grilles d’arbres, l’asphalte des trottoirs (revêtement de Zagreb), les haies entre jardins, les fossés, les bosquets et enfin les pieds d’immeuble non enherbées qui accueillent une flore très résistante aux exigences réduites.

Les particuliers peuvent participer à cette démarche à travers les murs et les toits végétalisés qui, tout en isolant thermiquement le bâti, permet de jouer ce rôle d’espace relais. Autres contributions possibles : privilégier la haie plutôt que le grillage de séparation, aménager des noues et des mares, pratiquer des ouvertures dans les clôtures pour laisser le passage à la faune. Le premier pas est la sensibilisation de tous à la biodiversité afin qu’émerge ultérieurement une demande sociale.

Élément structurant les paysages et l’urbain, la nature est une carte à jouer contre le fléau à l’œuvre dans les villes et la campagne : la banalisation et l’uniformisation.

Renaturer les villes : l’impératif catégorique

Ces espaces naturels sôclés dans l’urbain forment une composante essentielle de l’aménagement durable en raison des nombreux services et ressources renouvelables qu’ils procurent. Petit inventaire à partir des trois axes du développement durable : l’écologique, le social et l’économique.

En matière environnementale, la nature en milieu urbain a sept principaux impacts :

  1. La végétation influence directement et indirectement la qualité de l’air en modifiant la chimie de l’atmosphère. De manière directe, elle filtre les particules fines (PM) et en absorbe d’autres plus polluantes. Via la photosynthèse, les végétaux absorbent le CO2de l’atmosphère, l’intègrent dans des molécules organiques puis rejettent du dioxygène. Le taux annuel d’O2libéré et de COséquestré dans la biomasse végétale est fonction de l’activité photosynthétique qui varie selon les essences, l’âge, leur structure et les conditions locales. De l’autre main, elle le dégrade en émettant des composés organiques volatils (COV) et des pollens allergisants. Indirectement, elle permet la mitigation des facteurs aggravant la qualité de l’air par la réduction des températures, la modification du microclimat et l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments par l’isolation.
  2. Par la photosynthèse, les végétaux assimilent du carbone atmosphérique dans leurs tissus. Les forêts ont un avantage dans la séquestration du carbone dans la biomasse car la répartition du carbone est plus étendue et la durée de vie est plus importante. Même si in fine, le taux annuel d’O2libéré et de CO2séquestré dans la biomasse végétale est fonction de l’activité photosynthétique qui varie selon les essences, l’âge, leur structure et les conditions locales.
  3. L’évapotranspiration des végétaux impacte les transferts de chaleur et d’eau en milieu urbain, contrebalançant ainsi l’effet îlot de chaleur. L’arbre a pour effet cumulé de couper le vent en hiver et de protéger du soleil par son ombre. Pour information, à surface égale, une forêt libère davantage d’eau que la mer. Lors de la consultation du Grand Paris de 2008, le groupe Descartes a simulé l’impact, d’ici 2030, d’une augmentation de 30 % de la surface boisée et de 20 % des espaces verts d’Ile-de-France, du remplacement des céréales par du maraîchage dans un rayon d’environ 50 kilomètres autour de Paris, et de la création de retenues d’eau étendues. Le résultat de ce scénario, élaboré avec Météo France et le bureau d’étude Transsolar, est une chute jusqu’à 2°C de la température nocturne dans Paris intra-muros.
  4. La végétation régule le régime des eaux. Elle permet de diminuer le risque d’inondation : elle écrête et ralentit la montée des crues par l’infiltration directe des excès de précipitations dans le sous sol.
  5. Elle épure l’eau à travers l’aménagement de zones humides et le renforcement des berges dont les ripisylves s’avèrent aussi voire plus efficaces que les stations d’épuration.
  6. Par son système radiculaire, une végétation abondante diminue l’érosion et le lessivage des sols ainsi que les éboulements.
  7. La nature lie et clôt le tissu urbain. Elle permet de diversifier les fonctions de l’espace, de créer des continuités et surtout pallier les destructions et fragmentations déjà à l’œuvre dans les villes.

En matière sociale, la nature en milieu urbain a cinq principales incidences :

  1. L’amélioration de l’environnement, du cadre de vie et de la santé des habitants. Les habitants ont besoin de nature et son absence entraîne un effet barbecue déjà évoqué. Mieux, des études épidémiologique (Éric Lambin, S. De Vries, J. Maas, T. Takano, A. Tanaka…) ont prouvé qu’un cadre de vie riche en espaces verts a une incidence directe sur l’état de santé par les activités de détentes et de loisirs.
  2. C’est une source de pacification de l’espace et des humeurs à travers les activités sportives et de détentes (chasse, pêche, promenades, pistes cyclables), les espaces de pose et de repos, les pique-niques, la contemplation. Cela compense l’absence de carré de vert pour les populations les plus pauvres qui peuvent aussi avoir un accès à des ressources alimentaires à travers l’agriculture urbaine de proximité. C’est enfin la création d’un lien plus spirituel.
  3. La nature est un support pour des activités éducatives créant du lien social : sentiers pédagogiques, visites guidées, centres d’interprétation, apiculture, jardins partagés.
  4. La végétation en ville revête une fonction d’identification. Elle génère un paysage et un patrimoine naturel que l’on peut comparer avec l’historique et le culturel. C’est l’un des éléments qui forge l’identité locale. On peut citer l’exemple de la Bièvre, cette rivière canalisée et emmurée, mais dont l’empreinte et l’aura demeurent. Le cas international le plus reconnu de renaturation d’un cours d’eau considéré auparavant comme un égout est celui de Cheonggyecheon à Séoul. Ces espaces patrimoniaux forment des repères primordiaux dans la ville auxquels se réfèrent les habitants pour vivre les saisons et le réchauffement climatique.
  5. Elle sert d’élément de composition urbaine et de structuration du territoire, notamment en tant que support pour des transports alternatifs (vélos, piétons) jusque dans le périurbain (liaison ville-campagne). La ville doit renouer aussi avec son passé naturel et les espaces naturels environnants : les îlots des quartiers doivent se caler dans la mesure du possible sur la trame rurale antérieure qui ont structuré l’espace et les chemins dans le temps.

En matière économique, trois principales champs :

  1. Les points précédents ont déjà passé en revue les avantages induits par la prévention des risques et l’amélioration des services rendus par cette réorganisation.
  2. Elle permet aussi des créations d’emplois tant dans le domaine de l’étude que de la gestion et la mise en valeur de ces espaces naturels. La réinsertion peut s’exprimer dans les métiers de l’environnement.
  3. De nouveaux secteurs d’activités émergent : écoconstruction, génie environnemental…

Loin de tout angélisme, il faut garder à l’esprit que la biodiversité doit avoir un droit de priorité par rapport aux services écosystémiques qu’une essence d’arbre particulière pourrait donner (meilleure captation du CO2, efficacité plus grande pour l’infiltration de l’eau…). À nouveau, il ne faut pas rompre les équilibres pour ne répondre qu’à une seule question environnementale. Tous ces combats sont à mener de concert. D’autant plus que cette végétation urbaine ne pourra pas prendre toute la pollution en charge et qu’elle évolue dans des conditions plus difficiles qu’un milieu uniquement naturel. Les autorités instaurent dans ses intentions et ses documents d’urbanisme ces éléments. Mais c’est lettre morte tant qu’elles ne sont pas choix de civilisation de la majorité du genre humain. Un choix non pas dicté par l’urgence qui est souvent la porte ouverte aux échecs cinglants. Non, un choix dicté par l’intérêt propre pour les plus individualistes et l’intérêt commun pour les autres.

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